Date de l'évènement : Du 14 mai 2024 à 19h00 au 14 mai 2024 à 21h00
CONFÉRENCE
Danièle LINHART
Sociologue, chercheuse au CNRS
Animation
Nadia MONKACHI, ADEUS
Le rapport au travail est de plus en plus individualisé. La modernisation managériale depuis les années 80 a personnalisé, psychologisé la gestion des salariés, par le jeu des objectifs individuels, des évaluations individuelles, et abouti à mettre en concurrence les salariés les uns avec les autres et chacun avec lui-même puisqu’il faut chercher à se réaliser , se dépasser en permanence et à se révéler à soi-même ainsi qu’à sa hiérarchie.
Ce type de mobilisation des salariés entre en contradiction avec la réalité de l’organisation du travail, qui reste profondément inspirée de la pensée taylorienne. Les prescriptions détaillées et contraignantes se font sous la forme de protocoles, procédures, méthodologies, codifications, reportings (pensés par des experts de grands cabinets internationaux qui pratiquent le bench marking,) et relayés par les logiciels, viennent s’imposer aux salariés et agents. Les indicateurs quantitatifs sont ceux qui décident de la marche à suivre. Cela concerne aussi bien les techniciens, employés, opérateurs que les ingénieurs et cadres tous d’ailleurs logés à la même enseigne, celle des open spaces. Cette organisation prescriptive s’accompagne d’une accélération temporelle, qui se traduit par la pratique du changement permanent : restructurations des services, recompositions des métiers, changements de logiciels, mobilités imposées, déménagements. Cela brouille les repères, met les connaissances en obsolescence, disqualifie l’expérience et les anciens, oblige à des efforts supplémentaires, crée une précarité subjective et du burn out
Certes un esprit de bienveillance plane au-dessus de ces tensions, contradictions (qui sont à l’origine de mal-être, souffrance, dépressions, addictions à des substances psycho actives) et se manifeste par les DRH de la bienveillance, les chief happyness officers. Des séances de massage, fou rire, méditations, des N° verts de psy, des soirées festives, des mises à dispositions de coachs sont censés compenser la dureté des situations de travail. De même que le télétravail est censé apporter du confort.
Mais pour autant, le vécu au travail n’est pas amélioré : objectifs sur dimensionnés, perte de sens, conflit de valeurs, problèmes éthiques, sentiment de solitude et d’impuissance. L’image de soi se dévalorise.